Perte d'autonomie

Perte d’autonomie : le chemin de croix des aidants

aidants« Je ne le souhaite à personne, mais il faut avoir enduré le rôle d’aidant pour mesurer le stress, la fatigue, les sacrifices que cela implique et pouvoir affirmer que les mesures prévues dans la loi sont dérisoires », lâche Joël Jaouen, président de France Alzheimer.

Certes, le texte de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, entrée en vigueur le 1er janvier, reconnaît le rôle de ces 4,3 millions de ­personnes, à 57 % des femmes, qui soutiennent un proche âgé dépendant. Une première. Mais cette reconnaissance, tout comme la hausse des aides à domicile ou l’instauration d’un droit au répit, paraissent encore insuffisantes.

Du nouveau dans les dispositifs d’aide aux personnes âgées
Il suffit pour s’en convaincre de se plonger dans l’abondante lit­térature décrivant les dommages collatéraux de la perte d’auto­nomie sur l’entourage. L’étude « Aider un proche âgé à domicile : la charge ressentie », publiée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statis­tiques (Drees), en 2012, est à ce titre éloquente.

Epuisement, anxiété, troubles du sommeil, problèmes de dos, consommation de psychotropes… 40 % des personnes qui épaulent un proche fortement dépendant se sentent dépressives. Evidemment, tout dépend de l’état de santé de la personne accompagnée. Mais cette étude n’a pas pris une ride.
« J’étais rincée »

« Plus la dépendance s’aggrave, plus vous êtes sollicités, absorbés. Pendant dix ans, j’ai soutenu ma tante, en y passant tous les week-ends et la journée du mardi. ­Durant sa dernière année de vie, je n’ai pas pris de vacances, je ne ­sortais pas le soir, ne voyais plus d’amis… J’étais rincée », raconte Claudie Kulak, qui a ensuite créé la Compagnie des aidants, une structure permettant d’échanger, de trouver des conseils… Bref, de briser la solitude dans laquelle on s’enferme rapidement.

Accaparée par sa mission, la personne qui accompagne a tendance à s’oublier, jusqu’à reléguer au second plan sa propre santé. « Les médecins qui suivent les personnes en perte d’autonomie ont un rôle à jouer. Trop peu s’enquièrent de la santé de l’aidant », regrette le sociologue Serge Guérin.

« Pour la première fois en un an de multiples rendez-vous médicaux, nous avons récemment rencontré un psychologue qui a compris qu’il n’y avait pas un malade, ma femme, mais deux, abonde Didier C....., qui s’occupe de son épouse depuis qu’une opération bénigne a mal tourné. Je souffre autant de fatigue que de la voir dans cet état. »
« J’ai deux maisons à gérer, la mienne et celle de mes parents. (…) ­En comptant les deux nuits sur place, les week-ends et mes jours de repos, j’y passe quarante heures par semaine  », Isabelle ­L..., aidante.

Soutenir son conjoint, son parent (la moitié des aidants sont les enfants) est un acte d’amour naturel, humain… Mais le maintien à domicile, plébiscité par les familles et vanté par les pouvoir publics, montre aussi ses limites, car c’est éreintant.

« J’ai deux maisons à gérer, la mienne et celle de mes parents, ­raconte, les traits tirés, Isabelle ­L....., dont le père, âgé de 87 ans, souffre de la maladie d’Alzheimer depuis 2007, et sa mère d’une maladie dégénérescente. Je fais les courses, organise le planning des aides-soignantes et de la femme de ménage, passe des heures dans la paperasse et les comptes. Je m’occupe aussi de certains soins, car mon père est une tête de pioche qui refuse parfois que quelqu’un d’autre l’approche… En comptant les deux nuits sur place, les week-ends et mes jours de repos, j’y passe quarante heures par semaine. »

Ce témoignage est loin d’être isolé. L’aide apportée par l’en­tourage est, en volume, deux fois ­supérieure à celle fournie par les professionnels et varie de deux à cinq heures par jour, selon une étude du Haut Conseil de la famille ­datant de 2011.

« L’aspiration des Français à vieillir et mourir chez eux est d’autant plus légitime que les maisons de retraite, ces “institutions” où l’on “place” des gens, souffrent d’une image très négative. Ces établissements ont encore beaucoup d’efforts à réaliser, mais il ne faut pas idéaliser le domicile. Est-on encore chez soi lorsque plusieurs intervenants viennent chaque jour pour prodiguer des soins, préparer le repas, faire le ménage ? », interroge Serge Guérin.
Impact sur la vie professionnelle

Pour les aidants, la charge est d’autant plus lourde qu’ils ne vivent pas forcément à côté de leur proche et, surtout, travaillent. Près de la moitié sont en activité, avec l’impact que l’on peut aisément imaginer sur la vie professionnelle.

Durant cette période, non seulement ils mettent entre parenthèses leur carrière, puisent dans leurs stocks de RTT ou dans leurs congés pour un des nombreux rendez-vous médicaux, mais ils doivent parfois adapter leur temps de travail. Plus d’un aidant sur dix a dû le faire, selon l’étude de la Drees. « Si je n’étais pas passée à 70 %, je n’aurais pas tenu physiquement, admet Isabelle Leclerc. Idéalement, il me faudrait un mi-temps pour souffler un peu, mais ce serait intenable financièrement. »

Il existe bien quelques dispositifs permettant de prendre des congés exceptionnels, mais ils sont restrictifs, contraignants et entraînent une perte de salaire. Sur ce sujet, les entreprises évoluent trop doucement. « La prise de conscience est tout aussi timide que récente. En dehors de quelques grands groupes, les initiatives sont rares. Les ressources humaines et les syndicats se sont d’autant moins emparés de cette question que les salariés aidants hésitent à se faire connaître. Ils craignent d’être stigmatisés et, pour eux, le travail est le moyen de penser à autre chose », explique Myriam Bobbio, coordinatrice du pôle économie, consommation et ­emploi à l’Union nationale des ­associations familiales.

Contraintes financières
Pourtant, certaines mesures seraient faciles à prendre, comme étendre les droits existants pour la petite enfance – les jours enfants malades, par exemple – aux personnes s’occupant d’un proche dépendant. « Les entreprises pourraient aussi prévoir une aide financière lorsque le salarié doit prendre un congé exceptionnel. ­Elles le font bien pour les congés maternité », note Mme Bobbio.

Difficile pour les salariés, la situation est inextricable pour les indépendants. « Sans l’implication de ma famille, jamais nous n’aurions pu continuer à tenir notre crêperie à Saint-Pol-de-Léon [Finistère]. Pendant trois ans, ma femme a dû compenser lorsque je devais m’absenter en plein milieu du service pour aider mon père. Et, durant la saison, nous avons déboursé des sommes très importantes pour payer des auxiliaires de vie supplémentaires », se souvient M. Jaouen.

Aux charges physiques et psychologiques, aux décisions parfois difficiles à prendre avec toujours la hantise de faire des erreurs s’ajoutent rapidement les contraintes financières. France Alzheimer a calculé que, lorsque la personne reste à domicile, le reste à charge pour les familles, une fois déduites les aides, atteint près de 600 euros chaque mois. Un montant trois fois moins élevé que pour un séjour dans un établissement.

Le maintien à domicile encouragé
« Evidemment, j’ai pensé mettre mes parents en maison de retraite. Mais le calcul est vite fait : au bout d’un an et demi, nous aurions siphonné leurs économies et nous en serions de notre poche », explique Isabelle Leclerc, qui, en attendant, s’épuise et ne s’accorde que deux semaines de vacances par an.

C’est tout le paradoxe. Le maintien à domicile est encouragé, car il coûte moins cher à la collectivité. Mais, sans les familles, le système ne tient pas. « L’aidant est devenu une variable d’ajustement des politiques publiques, dénonce Florence Leduc, présidente de l’Association française des aidants. Il n’est ni naturel ni normal que la ­famille se substitue aux professionnels de santé. Il faut pouvoir assurer aux familles les ressources suffisantes pour que leur proche puisse vieillir dignement. »

Car, malgré le travail des associations, les nouvelles initiatives comme les villages de vacances accueillant des personnes en perte d’autonomie et leur famille, les aidants ne sont pas assez soutenus. Et il pourrait être bon de s’inspirer d’exemples européens. Aux Pays-Bas, leur rôle est reconnu et même rémunéré ; le Danemark, lui, a mis en place des care managers, qui déchargent les familles des tracasseries administratives et gèrent toute l’organisation.

« Les moyens alloués à la perte d’autonomie sont un choix politique »
Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que, si le nombre de personnes dépendantes augmente, les familles pourraient à l’avenir avoir encore plus de mal à assumer ce rôle d’aidant. La nécessité de travailler plus longtemps avant d’atteindre la retraite, l’évolution des structures familiales, avec des familles monoparentales toujours plus nombreuses, risquent de raréfier cette aide essentielle.


source : Le monde.fr

crédit photo : jetaide.ca

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