Dépendance des personnes âgées

dépendanceDépendance des personnes âgées : ce sujet qui touche un Français sur trois et dont parlent à peine les candidats à la présidentielle
Un baromètre réalisé par TNS Sofres indique qu'un Français sur trois a aujourd'hui dans son entourage une personne touchée par la dépendance. Un phénomène en augmentation en France pour plusieurs raisons, mais qui a pourtant du mal à s'insérer dans l'agenda politique et médiatique.

Atlantico : Selon le Baromètre de la Dépendance 2016 réalisé par TNS Sofres, 1 Français sur 3 a dans son entourage une personne touchée par la dépendance. Dans quelle mesure peut-on parler de paradoxe, entre d'un côté l'importance de la question de la dépendance et de l'autre le vide de la réponse politique ?
Comment l'expliquez-vous ?

Gérard-François Dumont : Le nombre de personnes âgées dépendantes augmente pour deux raisons. D'une part, les générations de personnes âgées qui parviennent aux âges de risque de dépendance sont plus nombreuses que dans les décennies précédentes ; d'autre part, l’augmentation de l'espérance de vie conduit certaines personnes au risque de dépendance.
De même qu’il y a ce que j’ai appelé une gérontocroissance (1), donc une augmentation du nombre de personnes âgées, il y a une gérontocroissance des personnes âgées dépendantes.
Mais, en même temps, le pourcentage de personnes âgées dépendantes au sein des générations les plus âgées est plutôt orienté à la baisse. C'est là où est l'immense paradoxe : l'évolution relative et l'évolution absolue de la dépendance ne sont pas du tout les mêmes. Et la connaissance de l’évolution absolue, caractérisée par une croissance qui devrait se prolonger, a tendance à masquer celle de l’évolution relative plutôt favorable.
Face à ces évolutions, parler de vide de la réponse politique est erroné. La question de la dépendance a déjà donné lieu à de nombreuses réponses politiques mises en place initialement par les départements à travers, dans un premier temps, des formules de prestation dépendance. Puis le Parlement a généralisé la politique concernant les personnes âgées dépendantes avec la loi du 24 janvier 1997 sur la prestation spécifique dépendance (PSD), alors sous conditions de ressources, puis avec la loi du 20 juillet 2001 relative à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), entrée en vigueur au 1er janvier 2002. Plus récemment, la loi du 1er janvier 2015, relative à l’Adaptation de la société au vieillissement (ASV), affirme l’objectif de donner la priorité à l’accompagnement à domicile.
Or, la façon dont les départements ont géré la prestation spécifique dépendance (PSD) puis gèrent l'allocation personnalisée à l'autonomie, peut être jugée fort satisfaisante, grâce à la décentralisation engagée en 1982 qui permet de gérer la politique concernant les personnes âgées dépendantes selon une logique de proximité sous la responsabilité d’élus de terrain.
La principale difficulté est essentiellement financière : dans la mesure où le nombre de personnes âgées dépendantes augmente, les budgets de l'allocation personnalisée à l'autonomie croissent également. Or, l’État a pris des décisions qui rendent difficile ce financement, ainsi que d’autres décisions qui abaissent par ailleurs les recettes des départements. Lorsque s’appliquait la prestation spécifique dépendance (PSD), les départements pouvaient récupérer les sommes versées aux bénéficiaires au-delà d'un actif successoral net fixé à l’époque à 46 000 euros (ou si les bénéficiaires arrivaient à meilleure fortune). Or, les départements appliquaient effectivement cette mesure selon la logique de l’aide sociale.
La loi de 2001 relative à l'allocation personnalisée d'autonomie a rompu avec la logique de l'aide sociale, ce qui signifie que même Mme Bettencourt, si elle le sollicitait, pourrait, après reconnaissance médicale, avoir droit à des services dans le cadre de l'allocation personnalisée à l'autonomie. Certes, la loi institue une participation du bénéficiaire en fonction de ses ressources, mais une telle participation ne couvre nullement le coût total de l’APA, qui comprend évidemment des frais de gestion. La suppression par la loi de 2001 de tout recours en récupération des sommes versées au titre de l'APA sur la succession du bénéficiaire et à l'encontre des donataires ou des légataires représente pour les départements des pertes de recettes. À cela s’ajoutent toutes les mesures de recentralisation fiscale, comme la suppression non compensée de la vignette automobile, et de réduction des dotations aux départements, ce qui en met certains en grande difficulté financière.

Quelle est l'ampleur du défi de la dépendance aujourd'hui ?
L'ampleur du défi de la dépendance est d’abord liée aux problèmes financiers précisés ci-dessus et, parallèlement, au fait que la géographie de la dépendance est extrêmement différente selon les territoires. Certains départements ont un pourcentage significatif de personnes âgées dépendantes parce que le poids relatif de leurs populations âgées est élevé. Ces départements ont des contraintes budgétaires lourdes pour financer la dépendance (2). C'est moins le cas de départements dont la population a une composition par âge très jeune, soit un faible pourcentage de personnes âgées et, par conséquent, un faible pourcentage de personnes âgées dépendantes. Il y a donc une grande inégalité entre des départements relativement avantagés, comme ceux de l’Île-de-France, et des départements comme la Creuse ou le Cantal, dont les budgets enregistrent un pourcentage de dépenses consacrées aux questions de dépendance beaucoup plus élevé.
L'autre enjeu est bien sûr d'améliorer le suivi de la dépendance, notamment en développant de meilleures synergies entre l'ensemble des services amenés à suivre les personnes âgées dépendantes. Il existe deux possibilités : soit la personne connaît des éléments de dépendance, mais peut être maintenue à domicile à condition que des services lui soient assurés quotidiennement, soit la personne est dans une situation telle que son maintien à domicile n'est plus possible et il faut alors la mettre dans un établissement spécialisé. L’objectif est de faire en sorte que la personne soit maintenue autant que possible à domicile, ce qui suppose une adaptation du logement – sachant que le souhait de continuer à vivre à domicile est majoritaire et que toute année supplémentaire de vie à domicile coûte beaucoup moins cher qu’un hébergement en institution –, une optimisation de l'organisation des services, notamment en améliorant les outils numériques et en développant davantage la télémédecine : dans la mesure où une personne âgée dépendante peut fort difficilement ou pas du tout se rendre chez un médecin, il faut développer des équipements numériques qui facilitent la télémédecine, tout particulièrement dans le monde rural. Lorsque les patients ne peuvent se déplacer, il faut faire circuler les données.

Peut-on s'attendre à ce que, du fait du vieillissement de la population, le phénomène de dépendance soit en hausse dans les prochaines années ? La réponse politique vous semble-t-elle à ce stade suffisante ? Quelles solutions faudrait-il selon vous apporter à ce problème ?
A priori, le nombre de personnes âgées dépendantes devrait être plutôt à la hausse (3) dans la mesure où il y a aujourd'hui une augmentation significative du nombre de personnes âgées. On peut toutefois espérer que le taux de dépendance, soit aujourd’hui 15 à 17% de personnes âgées dépendantes parmi les personnes âgées de 75 ans ou plus, diminue. Par exemple, aujourd'hui, la médecine n'a pas encore découvert les causes de la dépendance : pourquoi une personne âgée développe-t- elle la maladie d’Alzheimer et pourquoi une autre en est-elle épargnée ? Si l’on parvenait à répondre parfaitement à cette question, il serait possible de mettre en œuvre des politiques de prévention plus précises et d’abaisser le taux de dépendance. Autre élément : la situation de dépendance est de plus en plus tardive et pourrait le devenir davantage car, il y a une quinzaine d'années, la moyenne d'âge d'entrée dans les EHPAD (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) était à 75-76 ans ; aujourd'hui, elle est plutôt à 83 ans. L'âge d'entrée dans la dépendance a donc considérablement reculé.
Parmi les questions sur lesquels il faut davantage avancer – et la dernière loi de 2015 souhaite aller dans ce sens – figure la question des aidants familiaux : pour qu'une personne dépendante puisse rester au domicile, cela suppose que des membres de la famille, outre des personnels spécialisés, l'aident. Cela représente pour les aidants familiaux une tâche très lourde. Il faut donc faire en sorte que le travail de prise en charge des aidants – qu’il s’agisse des membres de la famille ou du voisinage – soit davantage reconnu et pris en compte par la société.
Au-delà, tout ce qui est fait pour mieux prévenir et mieux répondre à la dépendance doit aussi être considéré comme un investissement dans le cadre de la silver économie, c’est-à-dire dans l'ensemble des activités économiques liées au vieillissement de la population.

(1) Dumont ; Gérard-François, Les territoires face au vieillissement en France et en Europe (direction), Paris, Ellipses, 2006.
(2) Dumont ; Gérard-François, « Dépendance et territoire », Analyse financière, n° 47, avril-mai- juin 2013.
(3) Dumont, Gérard-François, « Perspectives de la composition par âge en France », Population & Avenir, n° 691, janvier-février 2009


fffGérard-François Dumont
Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris 4-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

crédit photo:http://www.assurance-et-dependance.fr
source : http://www.atlantico.fr


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