Dépendance

« Sur la question de la dépendance, la société bouge plus vite que l’État »
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Pour le sociologue Serge Guérin, spécialiste du vieillissement, l’entraide familiale permettra de faire face à la dépendance.
« Dans plus de 90 % des cas, c’est au sein de sa famille qu’on trouve de l’aide lorsqu’on devient dépendant. »

Serge Guérin est sociologue, spécialiste des questions liées au vieillissement, et dirige le master directeur des établissements de santé de l’Institut des hautes études économiques et commerciales (Inseec). Il vient de publier, en collaboration avec Pierre-Henri Tavoillot, La guerre des générations aura-t-elle lieu ? (éditions Calmann-Lévy). Selon lui, la solidarité entre générations permettra de faire face au problème de la dépendance des personnes âgées, à travers des dispositifs qui restent à inventer. Un point de vue à contre-courant des idées reçues.

Le regard des Français sur le vieillissement et la dépendance a beaucoup changé…
C’est de moins en moins un sujet tabou. Il y a encore une dizaine d’années, lorsqu’on évoquait ces problématiques, il y avait beaucoup d’incompréhension, de rejet, de déni… Et puis la vie nous a rattrapés. Avec le vieillissement de la population, un Français sur deux a déjà été confronté au problème de la perte d’autonomie d’une personne âgée, ou non, dans son entourage. En entreprise, c’est un salarié sur cinq. S’occuper d’une personne âgée en difficulté est un motif d’absentéisme fréquent, plus fréquent que pour s’occuper d’un enfant. Les médias se sont emparés du sujet et la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement [entrée en vigueur le 1er janvier 2016] a fait beaucoup pour la reconnaissance du statut d’aidant. Autre évolution, les gens prennent conscience de plus en plus tôt de l’importance de rester physiquement actif, de bien s’alimenter, pour vieillir en bonne santé et éloigner le risque de perte d’autonomie.

Dans votre dernier livre, vous écartez l’idée, pourtant répandue, d’un conflit latent entre générations…
Lorsque l’on interroge les Français sur ce qui va mal dans leur pays, seulement 6 % des sondés évoquent les conflits intergénérationnels, c’est révélateur. L’intergénération, c’est le quotidien fondateur : celui de la famille. Le slogan « Familles, je vous hais » d’André Gide, qui faisait florès en Mai 68, ne correspond plus à notre époque. Au contraire, la famille est considérée comme un refuge, alors que le monde du travail, avec ses exigences de compétitivité, peut être perçu comme hostile.

Lorsque l’on est confronté à un « accident de la vie », à la maladie, au chômage, c’est généralement vers un proche parent qu’on se tourne. Dans plus de 90 % des cas, c’est au sein de sa famille qu’on trouve de l’aide lorsqu’on devient dépendant. En moyenne, un aidant consacre vingt heures par semaine à ces tâches. Comme il existe 8,5 millions d’aidants en France, cela représente un poids économique de 164 milliards d’euros !
« Le plus souvent, les salariés sont réticents à évoquer leur condition d’aidant dans leur milieu professionnel, car ils redoutent qu’elle soit perçue comme une fragilité, ce qui pourrait les pénaliser. »

Comment ce problème est-il perçu par les entreprises ?
Quarante-six pour cent des aidants sont en activité professionnelle, soit 4 millions de personnes. Conjuguer leur mission avec leur métier affecte leur productivité. Qu’elles le veuillent ou non, les entreprises ne peuvent pas dire qu’elles ne sont pas concernées. Mais elles ne savent pas trop comment aborder le problème.

Le plus souvent, les salariés sont réticents à évoquer leur condition d’aidant dans leur milieu professionnel, car ils redoutent qu’elle soit perçue comme une fragilité, ce qui pourrait les pénaliser. D’autant qu’ils n’ont généralement aucun avantage à en retirer, contrairement aux femmes enceintes, par exemple, qui sont protégées. L’ampleur du problème, en particulier pour les PME, nous oblige à trouver de nouvelles solutions. Les entreprises pourraient s’assurer contre ce risque ou faire appel à des sociétés spécialisées, par un système d’abonnement, pour répondre à un besoin ponctuel.

Sur ces questions, la société bouge plus vite que l’Etat, elle produit du « care » en dehors des institutions. En vigueur depuis le 1er janvier 2016, le droit au répit des aidants est une avancée, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir. Heureusement, les idées sont en train de mûrir.

source : http://www.lemonde.fr
crédit photo : http://www.capital.fr

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