Chronique de Serge Guérin* : faire du soutien aux aidants un enjeu pour les entreprises.
Les aidants sont un fait social. En plus des professionnels du soin et de l’accompagnement, on estime que 8,5 millions d’individus soutiennent régulièrement, au moins 20 heures par semaine, et très concrètement un proche –pas toujours de la famille- fragilisé par l’âge, handicapé ou malade en très fort déficit d’autonomie.
Faire du soutien aux aidants un enjeu pour les entreprises.
Si les aidants de proches étaient rétribués, ce serait au moins 164 milliards d’euros par an qu’il faudrait mobiliser. A peu près l’équivalent du traitement annuel de l’ensemble de la fonction publique… Mais les entreprises sont aussi directement touchées puisque 46% de ces aidants exercent une activité professionnelle. Ce qui porte à plus de 3 millions, le nombre de salariés devant jongler, à titre transitoire ou pour de très longues années, entre leur vie professionnelle et les nécessités du soutien à un proche vulnérable.
Cette réalité a toujours existé. Mais, dans un contexte marqué par l’évolution des liens familiaux et le recul des capacités d’intervention de l’Etat social, l’allongement de la durée de vie et l’augmentation dramatique des maladies chroniques invalidantes changent la donne. Un exemple : 20% des salariés de plus de quarante ans aident une personne âgée !
Parfois, il y a plus d’absentéisme pour accompagner un parent malade que pour un enfant souffrant. L’augmentation de la durée d’activité, la croissance attendue des maladies chroniques et la poursuite du vieillissement font que cette situation va se renforcer.
Du point de vue de l’entreprise un salarié aidant présente le risque d’une perte de compétitivité, d’augmentation des risques d’erreurs ou de malfaçons et de fragilisation de la cohésion des équipes. C’est aussi une menace pour l’image, s’il y a un trop grand écart entre la posture extérieure de l’entreprise, empreinte de bienveillance, et la manière concrète dont elle aborde ce sujet. Ou dont elle ne l’aborde pas…
Des entreprises pionnières
Depuis une dizaine d’années un nombre croissant d’entreprises engage des initiatives. Le laboratoire pharmaceutique Novartis, historiquement pionnier du sujet, ouvre, par exemple, la possibilité aux salariés aidants de convertir leur treizième mois en jours de congés. De son côté, Casino a encouragé le don anonyme de jours de RTT. Dans ces deux cas, l’entreprise abonde les jours libérés. Notons que suite à l’initiative de salariés de Badoit qui avait donné des jours de RTT à un de leur collègue, une loi sur le don de RTT a fini par être voté en 2014. Bel exemple d’empowerment !
Bayard et Danone, pour leur part, ont investi au capital de Respons’Age qui propose aux entreprises de s’abonner pour permettre aux salariés aidants un accès à une plateforme de services, de conseils et de renseignements pratiques et personnalisés. Une vingtaine d’entreprises ont adhéré à ce système tandis que d’autres, comme L’Oréal, développent des accords avec les partenaires sociaux pour une meilleure protection sociale des salariés aidants.
Puisque tous les salariés peuvent un jour ou l’autre être appelés à devenir des aidants, il est essentiel de faire évoluer le regard du corps social de l’entreprise, et en particulier de la direction et des managers. Ils doivent être sensibilisés à la question pour savoir y répondre. C’est à eux d’assurer la cohésion des équipes en organisant le travail pour que tous, aidants y compris, se sentent reconnus.
L’approche doit aussi être développée pour préparer le retour du salarié s’il a dû quitter l’entreprise pour accompagner un proche. EDF Sud-Ouest avait fait œuvre de pionnier en développant au début des années 2010, une politique de sensibilisation via l’édition d’un guide pour les salariés et des actions spécifiques de sensibilisation du management et des salariés. Crédit Agricole Assurance sort aussi du lot en ayant intégré la capacité à repérer et accompagner les salariés aidant dans l’évaluation du manager.
Pour dépasser ces initiatives encore limitées, le rôle des RH se révélera essentiel. Il s’agit de mobiliser les dispositifs législatifs existants. C’est aussi à la RH de rappeler les valeurs de solidarité qui ne peuvent qu’être utiles au climat social dans l’entreprise et à la performance globale. Il faut également sensibiliser aux problèmes, les médecins et les infirmiers du travail et assistantes sociales qui sont les interlocuteurs légitimes d’un salarié aidant.
Mais la RH, et d’abord son dirigeant, doit aussi prendre conscience –et le faire savoir- que le salarié apprend sur lui et sur les autres en étant aidant. Avoir assumé ce rôle n’est pas neutre et peut changer la personne. Parfois l’enrichir émotionnellement comme en termes de compétences. Ce sont des acquis forts qui peuvent ensuite être mises au service de l’entreprise ou en tout cas, reconnues par elle. Au-delà, la question des salariés aidants montre bien l’évolution de la société et la tendance lourde à la création de solidarité de proximité.
Si les outils de communication numérique favorisent ces regroupements, le fait d’être partie prenante d’une même communauté professionnelle peut aussi produire du réseau social. Les groupes de pairs à l’initiative de salariés aidants devraient se développer dans les années à venir. C’est le cas chez Kimberly Clark, aux Etats-Unis où des salariés aidants se sont organisés pour se conseiller et se soutenir.
Plus tard, il faudra envisager la mise en place d’un cadre plus structurant pour orienter l’approche des entreprises de cette réalité. D’autant que ce qui peut se faire dans une grande organisation, n’est souvent matériellement guère possible dans des entreprises plus modestes. Le cadre législatif devrait aussi évoluer à terme. Un des points de progrès viendra, à terme, de l’élargissement du congé de soutien familial aux aidants. Cela permettrait, par exemple, à des aidants de pouvoir passer à mi-temps pour aider un proche.
L’accompagnement des aidants en activité est l’affaire de l’entreprise. C’est un changement de regard qu’il convient d’éclairer.
Serge Guérin
Si les aidants de proches étaient rétribués, ce serait au moins 164 milliards d’euros par an qu’il faudrait mobiliser. A peu près l’équivalent du traitement annuel de l’ensemble de la fonction publique… Mais les entreprises sont aussi directement touchées puisque 46% de ces aidants exercent une activité professionnelle. Ce qui porte à plus de 3 millions, le nombre de salariés devant jongler, à titre transitoire ou pour de très longues années, entre leur vie professionnelle et les nécessités du soutien à un proche vulnérable.
Cette réalité a toujours existé. Mais, dans un contexte marqué par l’évolution des liens familiaux et le recul des capacités d’intervention de l’Etat social, l’allongement de la durée de vie et l’augmentation dramatique des maladies chroniques invalidantes changent la donne. Un exemple : 20% des salariés de plus de quarante ans aident une personne âgée !
Parfois, il y a plus d’absentéisme pour accompagner un parent malade que pour un enfant souffrant. L’augmentation de la durée d’activité, la croissance attendue des maladies chroniques et la poursuite du vieillissement font que cette situation va se renforcer.
Du point de vue de l’entreprise un salarié aidant présente le risque d’une perte de compétitivité, d’augmentation des risques d’erreurs ou de malfaçons et de fragilisation de la cohésion des équipes. C’est aussi une menace pour l’image, s’il y a un trop grand écart entre la posture extérieure de l’entreprise, empreinte de bienveillance, et la manière concrète dont elle aborde ce sujet. Ou dont elle ne l’aborde pas…
Des entreprises pionnières
Depuis une dizaine d’années un nombre croissant d’entreprises engage des initiatives. Le laboratoire pharmaceutique Novartis, historiquement pionnier du sujet, ouvre, par exemple, la possibilité aux salariés aidants de convertir leur treizième mois en jours de congés. De son côté, Casino a encouragé le don anonyme de jours de RTT. Dans ces deux cas, l’entreprise abonde les jours libérés. Notons que suite à l’initiative de salariés de Badoit qui avait donné des jours de RTT à un de leur collègue, une loi sur le don de RTT a fini par être voté en 2014. Bel exemple d’empowerment !
Bayard et Danone, pour leur part, ont investi au capital de Respons’Age qui propose aux entreprises de s’abonner pour permettre aux salariés aidants un accès à une plateforme de services, de conseils et de renseignements pratiques et personnalisés. Une vingtaine d’entreprises ont adhéré à ce système tandis que d’autres, comme L’Oréal, développent des accords avec les partenaires sociaux pour une meilleure protection sociale des salariés aidants.
Puisque tous les salariés peuvent un jour ou l’autre être appelés à devenir des aidants, il est essentiel de faire évoluer le regard du corps social de l’entreprise, et en particulier de la direction et des managers. Ils doivent être sensibilisés à la question pour savoir y répondre. C’est à eux d’assurer la cohésion des équipes en organisant le travail pour que tous, aidants y compris, se sentent reconnus.
L’approche doit aussi être développée pour préparer le retour du salarié s’il a dû quitter l’entreprise pour accompagner un proche. EDF Sud-Ouest avait fait œuvre de pionnier en développant au début des années 2010, une politique de sensibilisation via l’édition d’un guide pour les salariés et des actions spécifiques de sensibilisation du management et des salariés. Crédit Agricole Assurance sort aussi du lot en ayant intégré la capacité à repérer et accompagner les salariés aidant dans l’évaluation du manager.
Pour dépasser ces initiatives encore limitées, le rôle des RH se révélera essentiel. Il s’agit de mobiliser les dispositifs législatifs existants. C’est aussi à la RH de rappeler les valeurs de solidarité qui ne peuvent qu’être utiles au climat social dans l’entreprise et à la performance globale. Il faut également sensibiliser aux problèmes, les médecins et les infirmiers du travail et assistantes sociales qui sont les interlocuteurs légitimes d’un salarié aidant.
Mais la RH, et d’abord son dirigeant, doit aussi prendre conscience –et le faire savoir- que le salarié apprend sur lui et sur les autres en étant aidant. Avoir assumé ce rôle n’est pas neutre et peut changer la personne. Parfois l’enrichir émotionnellement comme en termes de compétences. Ce sont des acquis forts qui peuvent ensuite être mises au service de l’entreprise ou en tout cas, reconnues par elle. Au-delà, la question des salariés aidants montre bien l’évolution de la société et la tendance lourde à la création de solidarité de proximité.
Si les outils de communication numérique favorisent ces regroupements, le fait d’être partie prenante d’une même communauté professionnelle peut aussi produire du réseau social. Les groupes de pairs à l’initiative de salariés aidants devraient se développer dans les années à venir. C’est le cas chez Kimberly Clark, aux Etats-Unis où des salariés aidants se sont organisés pour se conseiller et se soutenir.
Plus tard, il faudra envisager la mise en place d’un cadre plus structurant pour orienter l’approche des entreprises de cette réalité. D’autant que ce qui peut se faire dans une grande organisation, n’est souvent matériellement guère possible dans des entreprises plus modestes. Le cadre législatif devrait aussi évoluer à terme. Un des points de progrès viendra, à terme, de l’élargissement du congé de soutien familial aux aidants. Cela permettrait, par exemple, à des aidants de pouvoir passer à mi-temps pour aider un proche.
L’accompagnement des aidants en activité est l’affaire de l’entreprise. C’est un changement de regard qu’il convient d’éclairer.
Serge Guérin
Serge Guérin* : sociologue, auteur de « Silver Génération. 10 idées reçues à combattre sur les seniors », Michalon
source : http://www.senioractu.com
crédit photo : http:/google.com