témoignage

  • Témoignage

    « Tout ça pour expliquer combien les aidants sont seuls, vraiment seuls » : le témoignage bouleversant de M., aidante
    soitudeRéconcilier les soignants et les soignés, telle était l’ambition de Baptiste Beaulieu quand il ouvre son blog, "Alors voilà", en 2012. La semaine dernière, le jeune médecin y a publié une « lettre à l’aidé », le témoignage bouleversant d’une aidante.

    Quatre ans, deux livres et des millions de lecteurs plus tard, la formule n’a pas changé.

    Sur son blog, Baptiste Beaulieu raconte le quotidien à la fois drôle et tragique des patients, des professionnels de santé et des familles, des « tranches de vie hospitalières » qui viennent insuffler une grande bouffée d’humanité à notre perception du monde médical.

    Le 4 août, il offre aux lecteurs un plongeon poignant dans le monde des aidants, qu’il introduit par ces mots :

    « Aujourd’hui je relaie le témoignage de M., un long texte bouleversant sur la difficulté que traverse les « aidants » (je sais que beaucoup d’entre vous se reconnaîtront. À eux je veux dire : courage). »

    Le vide qui se fait autour de soi, les perpétuelles batailles administratives, la santé de l’aidant qui se dégrade, les montagnes d’énergie à déployer…

    « Tout ça pour expliquer combien les aidants sont seuls, vraiment seuls (…) Et je suis fatiguée. », conclut M.

    Le témoignage :

    Ça fait bientôt 15 ans…
    Un jour de juin 2001, un face-à-face contre un camion. On m’annonce que tu es cassé de partout, fracture ouverte du fémur, contusions pulmonaires gravissimes, trauma crânien et autres… « Préparez-vous au pire, madame ». Je te vois : je ne sais si tu es inconscient parce qu’on t’a sédaté ou parce que tu es trop cassé…
    Intubé, ventilé, drains thoraciques, je te parle et te dis que tu vas t’en sortir, qu’on t’attend…
    Puis le miracle : tu survis.
    Tu te réveilles doucement, et on te retire tes drains, et tu pars en orthopédie.
    Mais ce n’est que le début du combat.
    On est en juillet, alors l’hôpital ferme ses lits, et on te renvoie à la maison, en fauteuil roulant alors qu’il y a des escaliers partout chez nous, pas de toilettes en rez-de-chaussée. Nous, on n’avait jamais pensé combien des toilettes au rez-de-chaussée seraient importantes dans nos vies, un jour.
    Pas d’infirmière, ni de kiné disponibles, pas de place en rééducation fonctionnelle, et personne pour m’aider.
    Tu passes ton temps à pleurer….
    Alors moi aussi je pleure, je bataille comme une folle pendant 2 jours, et j’arrive enfin à te trouver une place dans un établissement de rééducation, parce que j’ai la chance d’avoir eu au téléphone une personne compréhensive.
    S’ensuivent 4 mois de reconstruction physique : « Tu remarcheras ! », je te promets. Je n’en sais rien. J’espère.
    Et tu as remarché : tu es passé du fauteuil aux béquilles et, un jour, enfin, tu as le droit de poser le pied par terre. On a soigné tes blessures… physiques.
    Voilà, tu rentres à la maison, apeuré car tu ne te sens plus en sécurité, tu n’es plus dans ton cocon blanc du centre de rééducation, et moi, la journée, je pars travailler parce qu’il le faut bien…
    Et tu m’agresses, m’insultes, hurles sans raison, et moi j’apprends en octobre mon cancer de la thyroïde, il faut que je me soigne…. sans toi, qui ne me soutiens pas, et qui pleures tout le temps quand tu ne cries pas.
    Opération, irrathérapie, hypothyroïdie profonde, kilos, dépression, maintenant c’est mon tour, pendant 6 mois. Pendant ce temps, tu enchaînes les hospitalisations pour ton fémur, on continue à soigner ce qui ce voit et SEULEMENT ce qui ce voit.
    Et puis… je me rends compte, 18 mois après l’accident, que tu ne comprends plus ce que tu lis, que tu ne sais même plus écrire, plus compter… Notre fillette de 10 ans essaie de te réapprendre tes tables, l’alphabet, sans résultat. Et tu passes toujours de l’euphorie à l’agressivité, tu oublies tout, tout le temps, tu ne sais plus bricoler sans faire de bêtises, tu dépenses sans compter, je suis obligée de te priver de carte bleue et de surveiller les comptes sans arrêt….
    Et pendant ce temps là le vide s’est fait autour de nous : mon cancer a éloigné beaucoup « d’amis », et toi tu as survécu à ton accident, alors pour nos proches tout va bien.
    Mais pendant ce temps-là, je bataille aussi toute seule avec les assurances, avant de finalement laisser tomber, tant pis. Trop compliqué, trop épuisant, je préfère consacrer mon énergie à notre reconstruction. Alors nous perdons nos droits, la forclusion arrive vite.
    Pendant ce temps-là, aussi, le corps médical m’entend enfin, et pose le diagnostic, 2 ans après l’accident : syndrome frontal, dû au traumatisme crânien. Handicap invisible pour ceux qui ne vivent pas avec toi au quotidien. Ça modifie ton comportement, ton humeur, ton caractère. Je dois apprendre à aimer quelqu’un d’autre.
    Et la vie qui passe, cahin caha, avec notre fille qui nous pète un plomb à l’adolescence, fugue, hospitalisation, comportement suicidaire, scarification, hospitalisation, thérapie familiale, psychologues, pédo psychiatre, et qui trouve enfin un équilibre et devient une belle jeune maman enfin heureuse….
    Et nous voilà 15 ans après…
    Ma fille nous soutient, mais le reste de la famille s’est éloignée : petit à petit, ton traitement pour le syndrome frontal est devenu inefficace, tu perds à nouveau la mémoire, tu es redevenu agressif.
    J’ai peur de toi depuis quelques semaines, de ce que tu pourrais me faire, et je ne veux pas t’abandonner parce que tu es mon mari, que je me dois d’être là pour toi.
    Notre médecin généraliste, tu le roules dans la farine : tu lui dis que tu vas bien, il te croit. Il est vrai qu’il nous connaît depuis 30 ans… Il ne me croit pas, je le vois bien, quand je lui dis tes difficultés, il pense que j’exagère… du coup il m’a mis sous antidépresseurs.
    Alors j’appelle ton nouveau neurologue qui me fait dire par sa secrétaire qu’il ne gère pas les urgences, et que je n’ai qu’à me rapprocher d’un service d’urgence psychiatrique. Oui, mais tu ne veux pas entendre parler de psychiatre, tu n’es pas fou, c’est moi qui ai un problème, me dis-tu..
    J’ai peut-être une solution : j’ai retrouvé les coordonnées d’un spécialiste des traumatisés crâniens, cet éminent Professeur de la ville de G. que tu avais rencontré il y a 10 ans, qui est à la retraite et qui continue à consulter bénévolement : et oui, ça existe….
    J’ai eu sa réponse hier, une demi-heure après ma sollicitation : il se souvient de toi, de nous, il va nous recevoir. Quel soulagement, quel espoir, j’entrevois la lumière au bout du tunnel.
    Tout ça pour expliquer combien les aidants sont seuls, vraiment seuls.
    Je ne parle plus de tout ça à personne de peur qu’on me dise que je me plains, que le peu de gens, d’amis, de famille, bref le peu de tendresse qui reste s’éloigne encore.
    Je fais semblant.
    Et je suis fatiguée.


    source : http://www.alorsvoila.com ; http://www.agevillage.com
    crédit photo : http://larchedegloire.com

  • A paraître....

    Des vies (presque) ordinaires - Récits d'aidants familiaux

    jnaLe 6 octobre 2016 se tiendra la Journée nationale des aidants. Plusieurs aidants familiaux ont accepté de se livrer pour l'écriture d'un livre : six récits singuliers pour appréhender leur vie (presque) ordinaire.

    livre"Des vies (presque) ordinaires" de Blandine BRICKA sera publié par les Editions de l'Atelier et disponible en librairie à partir du 22 septembre 2016.
    Loin du discours dominant démonstratif et négatif, l'auteur Blandine Bricka révèle l'épaisseur des relations humaines qui se vivent au quotidien. Une invitation pour tous les aidants à se relier et à partager leurs expériences.

    Blandine Bricka est allée à la rencontre et à l'écoute de 6 aidants :

        Clotilde et Victor, habitants de Torcy et parents de Caroline, victime d'un accident survenu en mai 2014 ;
        de Caroline et Nathalie, deux soeurs qui vivent en région parisienne et conjuguent leurs efforts pour s'occuper de leurs parents atteints des maladies d'Alzheimer et de Parkinson ;
        Evelyne, mère de Nicolas, 28 ans, porteur d'un spina-bifida ;
        Odile à Paris, mère de Victor, 21 ans, autiste non verbal ;
        Michel qui s'occupe de sa femme atteinte de la maladie de Parkinson,
        Marie-Thérèse à Montpellier, ancienne aidante de sa belle mère, puis de sa mère et aujourd'hui membre d'une association de soutien aux aidants...

    Au plus près de ce qui se vit, grâce à son écriture tout en pudeur et sensibilité, Blandine Bricka raconte leur quotidien souvent semé d'embûches, leur expérience d'aidant et cette réalité d'un vécu bien souvent incompris, ignoré, voire nié. Le livre ne cherche pas le voyeurisme ou la lamentation. Il met en avant la force de la réalité des sentiments complexes qui nourrissent la relation si particulière qu'est l'aide à un proche. À la lecture de ces vies (presque) ordinaires, on se retrouve ainsi face à un miroir et on s'interroge sur ces questions qui nous concernent ou nous concerneront tous :

    Que faire quand un proche ne peut pas ou ne peut plus vivre de façon autonome ? Fuir ? Demander à d'autres de le prendre en charge ? Être avec elle, avec lui ? L'aider ?
    Comment concilier son rôle d'aidant avec sa vie professionnelle et personnelle ?
    À quoi ressemble le quotidien de ceux qui vivent avec un parent, un enfant, un conjoint rendu dépendant du fait de sa maladie, de son handicap, de son âge ?
    Est-il possible de dépasser la révolte contre le malheur qui surgit sans crier gare ?
    Où puiser la force de tendre la main à l'autre fragilisé ? 
    Comment la relation avec la personne que l'on aide a-t-est-elle transformée ?
    Comment se voit-on transformé soi-même ?

    Extraits du livre

    Clotilde et Victor :
    « En fait, je suis avec elle dans une proximité distante. J'aime bien cet oxymore qui décrit ce double rôle que j'ai désormais : je suis à la fois sa maman et celle qui l'aide à avancer. Souvent, j'ai dû prendre du recul, oublier un peu mon rôle de maman et ne pas trop écouter mes sentiments pour pouvoir la pousser à atteindre des objectifs et y trouver une satisfaction qui la valorise. »

    Michel:
    « À partir du moment où j'ai accepté la maladie et ses conséquences, j'ai accepté aussi de donner le bras et d'accompagner. Ça fait partie de la vie de couple. Quand il y en a un qui ne va pas bien, il faut que l'autre soit assez fort pour le soutenir. Et le faire de bon coeur. Aujourd'hui, j'ai plus l'impression d'être l'aidant ou l'assistant permanent que le mari, ou alors le mari des temps difficiles. Mais la maladie nous a rapprochés. On avait des projets de voyage. On a fait une croix dessus. Je me suis dit que pendant très longtemps, je travaillais plus de huit heures par jour et je ne vivais pas vraiment avec ma femme. Maintenant, on peut enfin vivre cette vie commune. Les rapports se sont déplacés. »

    Évelyne:
    « Toutes ces heures passées dans des salles d'hôpital, voire de réanimation, où, en tant que maman, j'étais impuissante et où la seule chose que je pouvais faire était de lui tenir la main en lui disant « Ne t'en va pas » créent des liens complètement invisibles, qui dérangent parfois notre entourage. Ça peut même être assez cocasse parfois et on en rit. Devant un obstacle infranchissable avec le fauteuil, je lui dis : « Lève-toi et marche. »
    Ou alors il me dit : « Maman, il faudrait rouler un peu plus vite, tu n'avances pas. ». Ce n'est pas un lien de dépendance. Je tiens à ce qu'il y ait de l'échange, du donnant-donnant. »

    source: aladom.fr

    crédit photo : jna, www.hellocoton.fr